Ln Boul, de designer à céramiste

“Je suis designer avant tout. Mon essence c’est de dessiner des projets”

Ta première rencontre avec la céramique ?


J’ai pris des cours de modelage toute petite vers 8-10 ans. C’est ça mon 1er contact ; plutôt de l’ordre de la découverte. J’ai toujours été manuelle et je fabriquais plein de choses. J’avais par exemple un opinel et je gravais, sculptais… J’avais une sensibilité pour le travail des mains mais sans penser que ça pouvait devenir mon métier.

Je n’ai pas eu de deuxième contact avec la terre avant mes 18 ans. Juste avant mon entrée aux Beaux-Art, j’ai suivi un cours de sculpture / modelage avec une artiste qui faisait des personnages à Marseille. J’en garde un très bon souvenir. Puis j'ai continué des ateliers davantage axés sur les volumes à l’école.

Tu as fait les Beaux-Arts. Tu peux nous raconter ?

La première fois j’ai raté le concours … (rires) C’était celui post-bac.  Du coup je suis partie travailler trois ans en animation socioculturelle et sportive avec des publics très différents et ça m’a fait grandir et gagner en autonomie :  maison de retraite, colonies de vacances.. 

Mais je savais que je le retenterai, ne serait-ce que par ego ! Quitte à être prise et ne pas vraiment y aller.

Finalement 3 ans plus tard, avec une maturité plus grande, je l’ai eu. Et je n’ai pas laissé passer l’opportunité. J’étais dans un état d’esprit complètement différent, plus détachée, positive et dynamique.

Les Beaux-Arts, c'est 3 ou 5 ans de formation. Je partais pour 3 ans et j’en ai finalement fait 5. 

Quel souvenir gardes-tu de ta formation ?

Un très bon souvenir ! J’y ai découvert la première année le design produit. J’ai de suite compris que c’est ce que je voulais faire comme métier : imaginer, créer des objets.

Les Beaux-Arts c’est de l’art - au sens strict, pas des arts appliqués. Il y avait par exemple un magnifique atelier de céramique avec des tours de potier mais l’objectif n’était pas d’apprendre la technique ni le travail en série.


J’ai appris à gérer un projet de bout en bout avec des artisans. Si je devais résumer la formation, c’est vraiment la découverte de matières et apprendre à interagir avec les experts de ces matières, pas devenir technique soi-même. J’ai aussi bien touché au métal, qu’au bois et à la céramique pendant ces années-là. Jusque là j’étais dans le ressenti, l’instinct, le toucher. J’ai appris à davantage intellectualiser un projet. Et comme d’habitude j’ai aussi beaucoup fait comme je l’entendais (rires). Pour moi, rien de plus important que de côtoyer des artisans, de comprendre leur technique, leurs processus de fabrication pour un meilleur rendu projet. J’ai passé beaucoup de temps dans des ateliers, avec des potiers notamment pendant mes études et j’ai adoré.

Les dernières années, j’ai eu la chance de beaucoup voyager. J’étais plus âgée que les autres élèves et je me suis bougée pour trouver des stages à l’étranger et exposer mes œuvres dans des galeries. Je suis allée au Sénégal, au Mali, au Brésil, à Londres ! Je garde un souvenir fort de Bamako ; je ne voulais plus partir. 

À quel moment décides-tu d’ouvrir un atelier de céramique ?

Un peu par hasard ! A la sortie de l’école, je suis devenue designer et j’ai créé des objets que je fabriquais moi-même (auto-édition) ou qui ont été édités par des marques.

Un peu avant la naissance de mon premier enfant, je quitte peu à peu mon atelier pour devenir prof en BTS “Design Industriel” pendant 7 ans. J’apprenais aux élèves la culture design et c’était vraiment chouette. Quand “faire” a commencé à me manquer, mon mari l’a senti et  m’a offert un tour de potier d’occasion car je parlais de temps en temps de céramique. C’est comme ça qu’elle a fait son retour dans ma vie. J’ai pris des cours dans une MJC avec des mamies, la prof était top et ravie de transmettre son savoir. J’ai eu un super feeling et je me suis lancée à la maison.

J’ai ensuite suivi une formation en alternance chez un potier. J’ai appris les bases du tournage et du modelage. Et rien ne vaut la pratique alors je me suis lancée un challenge et j’ai fabriqué 400 bols pour un festival.

J’ai trouvé une terre qui m’a beaucoup plu, le grès basse température. C’est un grès qui vient de France, économe en énergie. Son nom est le Casarès. C’est important pour moi de défendre cette terre et sa provenance. J’ai eu une véritable prise de conscience, sur l’importance de faire des économies d’énergie et de choisir une terre plus locale. L’année dernière j’ai par exemple utilisé 2,5 tonnes de terre, ce n’est pas rien..  Je recycle toute cette terre ainsi que mes émaux. Ce n’est pas parfait mais je fais de mieux en mieux.

Quel est ton rapport à l’objet ?  et à tes collections ?

Il est très lié à ma formation de designer. Je suis sensible à l’usage des objets, leur fonction. Un bel objet utilisé c’est encore mieux qu’une sculpture selon moi. J’ai besoin de trouver une fonction aux choses.

Mes collections sont volontairement simples :  des lignes épurées pour faciliter l’usage et pour rester sur un prix “accessible”. Une pièce trop chère ou trop complexe sera moins utilisée. Je fais des tasses sans anse par exemple. Je préfère prendre ma pièce au creux des mains, attendre que le thé refroidisse et c’est plus facile à ranger dans sa cuisine.

Mes formes sont faisables en série mais conservent une certaine irrégularité. Pareil pour l’émail. On voit que c’est fait à la main et c’est important pour moi.

Nuit Bleue, c’est ma première collection. Le hasard des recherches m’a permis de sortir un truc qui m’a tapé dans l'œil. Une superposition entre un engobe noir et un émail blanc révélés par le geste d’émaillage. 

La collection Sakura est née en 2021. Je souhaitais travailler le printemps et les fleurs de cerisier. C’est un émail variable avec des nuances de rose liées à la densité et à l’épaisseur ainsi qu’à la place de la pièce dans le four .. !

Je me considère aujourd’hui comme multi-casquette, touche à tout. La création en tant que telle m’anime. Pour le moment c’est la céramique et j’adore. Mais j’aimerais aussi associer d’autres matières avec la céramique : le bois par exemple. La porte est ouverte à ce qui arrive.

Qu’est ce que tu préfères dans ton métier ? 

Sans aucun doute le contact avec la terre. Une matière souple, vivante, hyper intéressante.

J’aime tout dans le travail de la terre. Je donne des cours aussi, des stages à l’atelier. J’aime bien transmettre. 

Qu’est ce qui est le plus difficile ?

La technique du tournage. Pour devenir un tourneur professionnel, il faudrait faire ça tous les jours. Hors un atelier c’est avant tout une entreprise, on est pas sur le tour tous les jours.. Il y a des dizaines de tâches différentes : séchage, gestion des cuissons, fabrication des émaux, le contact avec les clients, le prototypage, la vente et la gestion de l’entreprise.

Pour vivre de la céramique, il faut aimer vendre, aimer le contact avec les gens et arriver à démarcher pour trouver des projets. Les Beaux-Arts m’ont aidé à définir un projet et savoir le vendre. Je n’ai pas de problème avec ça, c’est une partie du métier.  J’ai toujours été indépendante. Je crée moi-même ma propre richesse. Je ne me dis pas que c’est dur car c’est lié à moi. Si je veux faire plus ou moins de chiffres, je sais que je dois adapter la quantité de travail.  En 2021 j’ai énormément travaillé. En 2022, je lève le pied et je prends du temps pour moi et ma famille.

Ton plus grand rêve ?

Devenir céramiste nomade avec un tour portatif et faire des cuissons dans la terre. J’ai envie d’aller à la rencontre d’autres cultures, céramique ou non, en France et à l’étranger. Un atelier qui tourne bien et plein de rencontres, d’autres pratiques.. je me le souhaite !

Photographies Céline de Cérou

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