Juline Doisne et l’amour de la porcelaine
Aujourd’hui on part à la rencontre de Juline Doisne, céramiste à Montpellier. Juline est designer de formation, artisane et grande technicienne.
Hello Juline, est-ce que tu peux te présenter ?
J’ai 27 ans et je suis originaire de Nevers dans la Nièvre, en Bourgogne. J’y ai grandi et fait mes études ; c’est une jolie petite ville traversée par la Loire. J’y suis restée jusqu’au master.
Tu as étudié les arts appliqués dès le lycée, tu peux nous raconter ?
J’étais studieuse à l’école et j’aimais beaucoup les activités manuelles. Au collège mon prof d’arts plastique m’a parlé du bac arts appliqués que l’on pouvait faire au lycée de Nevers. J’ai candidaté et j’ai été prise. Au lycée on était une trentaine d’élèves à suivre ce cursus, on était dans notre petite bulle. J’ai de suite accroché avec ce cursus : on a appris à dessiner et à travailler de manière concrète sur des projets. J’en retiens notamment une définition du design : Aller du dessin au dessein. On s’inspire, on imagine puis on analyse et réfléchit à l’usage de l’objet et ses caractéristiques. On travaillait sur des projets comme une collection de vêtements pour enfants inspirée des bonbons ou la culture du thé à l’anglaise et le travail consiste à rendre des planches A3 avec nos maquettes, prototypes et axes de réflexion.
Ce sont vraiment des études géniales. Elles demandent beaucoup d’investissements entre les matières générales et les projets en spécialité, j’ai fait mes premières nuits blanches au lycée !
Tu t’es ensuite spécialisée en produits …
Oui de fil en aiguille, j’ai compris que ce que je préférais c’était travailler sur les objets, les volumes. J’ai donc poursuivi après le bac avec un BTS en design de produits à l'école supérieure des arts appliqués de Bourgogne (ESAAB). La réflexion pour chacun des projets est plus poussée et on réalise des prototypes à l’échelle réelle. On a aussi eu des workshops pour travailler une matière en particulier comme le bois, la céramique...
C’est à ce moment-là que la céramique entre dans ta vie ?
Oui et non .. ! J'ai rencontré la céramique lors d'un workshop avec Jean-Marc Fondimare, spécialiste du coulage en porcelaine et originaire de Saint Amand en Puisaye. J'ai été fascinée par la technique et c'est pendant ce projet que j’ai fabriqué mes premiers moules en plâtre. Mais je restais concentrée sur le design produit. La céramique comme d’autres matières devait me servir à étoffer mes connaissances et compétences en vue de devenir designer. Je ne savais pas encore que j’étudierais ensuite au cnifop dans cette même salle où j'avais réalisé mes premiers moules !
Après mes deux ans de BTS, j’ai continué avec un DSAA : diplôme supérieur des arts appliqués, toujours en produit. On a continué à travailler sur des projets variés mêlant ou non la céramique. On avait par exemple eu un projet avec la faïencerie Georges située à Nevers - capitale de la faïence au 16e siècle - sur la thématique du flux. J'ai voulu prendre le contre-pied de la fonction utilitaire classique et j'ai “mis la Loire en bouteille”. Cette bouteille a été conçue comme un objet manifeste, dont on ne peut se servir correctement. L'eau, à l'image de la Loire, en sort de manière totalement libre et irrégulière.
A la fin de mon master, je savais que je voulais être indépendante mais je sentais que je n'avais pas suffisamment d'outils pour me lancée en tant que simple Désigner. J'avais besoin de compléter ma formation par un savoir-faire précis.
À ce moment-là je repensais à la porcelaine, cette matière si belle et exigeante et j’imaginais déjà des dentelles organiques et des choses très délicates. J’ai alors candidaté auprès du CNIFOP et j’ai suivi une formation d’un an.
Le CNIFOP est un centre de formation en céramique, tu peux nous en dire davantage ?
Il se situe à Saint Amand en Puisaye. J'y ai suivi la formation"Céramiste Créateur”, très complète. Elle comprend 6 mois de cours en module pour apprendre les différentes techniques puis plusieurs mois pour développer son projet d'installation. C’était très différent de mes études jusqu’au master car j'entrais dans un environnement professionnel avec principalement des personnes en reconversion. On avait une grande autonomie. J’ai appris à tourner, à émailler une pièce … et j’ai bien sûr refait du plâtre ! Guy le professeur de la formation plâtre était aussi le professeur de Jean-Marc Fondimare, ma première rencontre avec le coulage et la porcelaine. La boucle était bouclée et la passion pour cette technique s'est affirmée.
Beaucoup de produits de mes collections actuelles ont commencé à émerger là-bas : les luminaires Venus, les tasses Gorgones qu’il faut casser soi-même…
J'y enseigne également depuis 3 ans les techniques de porcelaine de coulage et méthodologie de création, des formations d'une semaine qui mêlent savoir-faire et démarche créative.
Tu t’es installée dans un atelier de suite après le cnifop ?
J’avais entendu parler de la maison Revel à Pantin avant la fin du Cnifop. C’est un lieu avec des espaces de travail partagés et pas trop chers. J’ai passé les entretiens et j’ai pu démarrer là-bas. J'ai eu la chance de partager mon espace de travail avec Salima Zahi pendant 2 ans ! On est devenues très complices et on s'est beaucoup apportées mutuellement dans ce lancement dans l'entrepreneuriat. Même séparées, aujourd'hui nous continuons de travailler ensemble sur des projets sur-mesure et partageons une expertise commune que nous mettons au service d'autres professionnels : prototypage et réalisation de petites séries en coulage Et après deux ans à Pantin, j’ai créé La Hütte Céramique à Montpellier, un atelier que je partage avec Laura (Ceramics by Laure, membre du collectif Minuit).
- D'où te viennent tes inspirations ? Comment as-tu développé ton esthétique ?
Ce qui m’intéresse avant tout c’est le sens, l’usage lié à ma formation de designer produit. Et la relation que l’on va avoir avec l’objet, l’affect qu’on va développer avec lui. Comment il va susciter une émotion.Ensuite je suis fascinée par la nature sous toutes ses formes. Je me qualifie comme “designer naturaliste”. J’observe la nature, j’essaie de la comprendre et je la retranscris dans mes porcelaines. Je m’inspire de moments simples comme l’émerveillement devant un coucher de soleil, les coquillages que je trouve sur la plage, les cailloux en balade..
Après j’ai un attrait particulier pour les fonds marins et les abysses, un univers très mystérieux et qu’on a tendance à oublier. Mes luminaires Venus sont par exemple inspirés des méduses et de leurs mouvements pleins de grâce. J’ai volontairement choisi des coloris pâles pour laisser passer la lumière. Plus il fait sombre, plus la couleur s'intensifie. Une volonté de sublimer l’obscurité ! La collection Arbo, je l’ai imaginée comme des bulles de nature, la sensation de bonheur devant un arbre.
- Tu as d’autres passions à côté de la céramique ?
J’aime les beaux livres et surtout la vulgarisation scientifique. je me nourris de récits, d'articles, de documentaires... J’aime comprendre ce qui me fascine.J’adore être plongée dans des univers : je collectionne les cailloux, les coquillages, les minéraux.. En balade je reviens toujours avec quelque chose que j’ai glané, la nuit j'ai toujours la tête en l'air à regarder les étoiles. J’aime aussi aller voir des expositions sur la nature ou un sujet scientifique. Ça n'est pas la céramique qui me passionne mais la conception et surtout la complexité technique et le challenge. Avec la porcelaine c'est une véritable histoire d'amour. Cette matière d'une blancheur incomparable, fine, délicate et translucide est la plus adaptée pour exprimer mon univers sensible et réfléchi.
Un autre intérêt que tu souhaites nous partager ?
Je suis une grande fan d’Harry Potter et du Seigneur des Anneaux ! Ces univers sont d'une richesse incroyable. J’ai dévoré l'œuvre de Tolkien, il était passionné par les langues et a d’abord inventé l’elfique. Puis il a tissé toute une mythologie avant de rédiger ses recits. Il m’inspire énormément dans sa manière très aboutie de construire un projet. Il réfléchissait beaucoup aux aspects scientifiques que l’on retrouve tout au long des livres afin d'en faire des histoires cohérentes.